Visite de Pripyat Ă  travers les yeux de ses anciens habitants

Par Mathieu , le 6 juillet 2017 , mis Ă  jour le 6 juillet 2017 - 11 minutes de lecture
Visite de Pripyat urbex

Pour poursuivre ma sĂ©rie d’articles sur le thème de l’urbex Ă  Pripiat, je vous propose une visite de Pripyat Ă  travers les yeux de ses anciens habitants. Grâce Ă  leurs tĂ©moignages, vous pourrez dĂ©couvrir comment ils ont vĂ©cu la catastrophe de Tchernobyl, ce qu’ils faisaient lorsque le rĂ©acteur numĂ©ro 4 a explosĂ© et comment ils vivent aujourd’hui.

Après vous avoir prĂ©sentĂ© les commerces de Pripyat avant et après l’accident nuclĂ©aire, je voulais vous parler un peu de l’humain. Vous allez voir, certains tĂ©moignages sont Ă©tonnants et l’angoisse qu’ils vivent aujourd’hui n’est pas forcement celle Ă  laquelle nous aurions pensĂ© en premier.

Visite de Pripyat urbex

Visite de Pripyat avec Alexander Petrovich Zabirchenko

Visite de Pripyat urbex
Alexander Petrovich Zabirchenko – Photo : Lynn Hilton

Le premier tĂ©moignage que je vous propose de dĂ©couvrir, c’est celui d’Alexander Petrovich Zabirchenko. Il travaillait Ă  la centrale comme chef du dĂ©partement Ă©lectrique de Tchernobyl. Ainsi, comme de nombreux travailleurs de Tchernobyl qui sont retournĂ©s sur place pour dĂ©contaminer la zone, Alexander Petrovich Zabirchenko a Ă©tĂ© dĂ©corĂ© de la mĂ©daille de « hĂ©ro de l’Union SoviĂ©tique ». Malheureusement, tous n’ont pas eu sa chance et survĂ©cu aux radiations.

« Ces hommes Ă©taient des hĂ©ros. Chacun d’entre eux. Ils sont morts pour Ă©viter que la catastrophe ne soit encore plus importante. Ils ont sauvĂ© non seulement l’Ukraine, la Russie ou l’Union soviĂ©tique, mais aussi toute l’Europe « .

Visite de Pripyat urbex

Alexander Petrovich Zabirchenko est revenu sur place en 2016, en compagnie de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui vivent aujourd’hui dans la ville ukrainienne de Slavutych. Ensemble ils se sont remĂ©morĂ©s les souvenirs et les rĂŞves qu’ils avaient laissĂ©s Ă  Pripyat, la ville fantĂ´me qui Ă©tait autrefois leur maison. L’histoire de Pripyat et Slavutych est intimement liĂ©e. Pripyat est l’ancienne mĂ©tropole soviĂ©tique construite pour les travailleurs de Tchernobyl tandis que Slavutych, est un phĂ©nix urbain issu des cendres de la catastrophe pour accueillir les anciens habitants de Pripyat.

Visite de Pripyat avec Pasha Kondratiev

Passons au tĂ©moignage de Pasha Kondratiev. Chaque matin, l’homme de 62 ans prend le train depuis la ville de Slavutych pour aller travailler Ă  la centrale de Tchernobyl. Cinquante minutes de transport passĂ©es en compagnie de ses collègues. Tous sont soumis quotidiennement Ă  des contrĂ´les de radiation avant de rentrer chez eux vers 16h30.

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Pasha Kondratiev a commencĂ© Ă  travailler Ă  l’usine il y a 33 ans. Son travail : surveiller et entretenir l’Ă©quipement de mesure de rayonnement. Le jour de l’accident, lui, sa femme Natasha et ses filles Tatiana, 12 ans, et Marina, 10 ans, se sont dirigĂ©s sur un pont surplombant la rivière alimentant l’Ă©tang de refroidissement de la centrale nuclĂ©aire afin mieux voir ce qu’il se passait. Ce site a ensuite Ă©té appelĂ© « le pont de la mort », en raison des niveaux de rayonnement Ă  cet endroit.

Visite de Pripyat urbex

« Je pouvais voir les ruines du rĂ©acteur. Il a Ă©tĂ© complètement dĂ©truit et il y avait un nuage de fumĂ©e qui s’en dĂ©gageait. Personne ne nous a donnĂ© aucune information, mais nous savions que c’Ă©tait sĂ©rieux. Nous savions que c’Ă©tait quelque chose de terrifiant. Le lendemain, lorsque l’Ă©vacuation a Ă©tĂ© annoncĂ©e, Natasha a attrapĂ© les filles et a traversĂ© la ville pour prendre un train afin de se rendre chez ses parents qui vivaient à Smolensk, en Russie. », explique Pasha Kondratiev.

Visite de Pripyat avec Natasha Kondratiev

« Au dĂ©but, je pensais que nous allions revenir. Mais une fois dans le train, nous avons entendu des femmes qui expliquaient comment leurs maris avaient Ă©tĂ© brĂ»lĂ©s par les radiations ; je me suis alors inquiĂ©tĂ©e. Mon cĹ“ur battait si vite. Ă€ l’Ă©poque, nous n’avions pas de tĂ©lĂ©phones portables. De plus, je n’avais aucune idĂ©e de ce qui allait arriver Ă  mon mari », explique Natasha Kondratiev.

Visite de Pripyat urbex

Deux ans après la catastrophe, une de leurs filles, Tatiana, devint asthmatique. Quand elle s’est effondrĂ©e dans la rue Ă  Slavutych, âgĂ©e seulement de 19 ans, l’ambulance n’a pas rĂ©ussi Ă  arriver Ă  temps pour la sauver. « Qui sait si Tchernobyl lui a causĂ© de l’asthme. Tout ce que nous savons, c’est qu’avant l’accident, elle Ă©tait en bonne santĂ©. Elle a Ă©tĂ© exposĂ©e aux rayonnements Ă  l’âge de 12 ans, ce qui constitue un âge critique pour le dĂ©veloppement d’un enfant. »

« Dès le premier jour oĂą nous sommes arrivĂ© Ă  Pripyat, je n’ai jamais voulu repartir. C’Ă©tait le paradis. Partout, il y avait des roses et des arbres fruitiers, on pouvait pĂŞcher dans la rivière et ramasser les champignons dans la forĂŞt. Il semblait que l’endroit avait Ă©tĂ© crĂ©Ă© spĂ©cialement pour nous. Nous sommes retournĂ©s Ă  Pripyat il y a quelques annĂ©es ; c’Ă©tait très triste pour nous. Nous sommes allĂ©s dans notre ancien appartement et avons retrouvĂ© tout ce que nous avions laissĂ© en 1986. »

Visite de Pripyat avec Marina Uldasheva

La deuxième fille de Pasha et Natasha Kondratiev a aujourd’hui 39 ans. Elle se souvient qu’avant la catastrophe, sa mère lui avait achetĂ© un impermĂ©able rouge. Ce qui l’a marquĂ©, c’est qu’après avoir Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©e, cet impermĂ©able rouge avait Ă©tĂ© brĂ»lĂ© devant elle, car jugé radioactif.

Visite de Pripyat avec Marina Uldashev
Marina Uldasheva – Photo : Lynn Hilton

« J’adorais ce manteau. C’Ă©tait tellement Ă  la mode. Mais tous nos vĂŞtements nous ont Ă©tĂ© retirĂ©s et mĂŞme nos longs cheveux ont Ă©tĂ© coupĂ©s comme ceux d’un garçon. Ils ont dit que c’Ă©tait aussi radioactif. En Ă©change, on nous a donnĂ© un costume d’homme bleu et des pantoufles. »

« Je n’ai aucun lien fort avec Pripyat. J’Ă©tais trop jeune pour m’en souvenir. Contrairement Ă  mes parents, je n’arrive pas Ă  faire la comparaison avec la vie à Slavutych ; c’est ma maison et je resterai ici. »

Visite de Pripyat avec Nikolai Syomin

Dans le district russe de Slavutych, Nikolai Syomin, 59 ans, Ă©pingle ses mĂ©dailles de « hĂ©ros de l’Union soviĂ©tique » sur son costume. Nikolai Syomin est diplĂ´mĂ© de l’Ă©cole technique de Leningrad. EmployĂ© comme rĂ©parateur Ă  Tchernobyl, le soir du 25 avril 1986, il fĂŞtait ses 30 ans dans son appartement de Pripyat.

Visite de Pripyat avec Nikolai Syomin
Nikolai Syomin – Photo : Lynn Hilton

« C’Ă©tait une soirĂ©e chaude et nous avons laissĂ© toutes les fenĂŞtres ouvertes. Nous avons vu une sorte de fumĂ©e dans le ciel, mais nous n’y avons pas fait plus attention que ça. Notre appartement Ă©tait au centre de Pripyat. Nous avons dĂ©couvert plus tard ce qu’il se passait, quand le vent a apportĂ© la poussière radioactive et transformĂ© la zone en l’une des zones les plus contaminĂ©es de la ville. »

Le lendemain, il a tĂ©lĂ©phonĂ© Ă  la centrale nuclĂ©aire. « Je voulais aller Ă  la centrale mais on m’a dit que je n’Ă©tait pas autorisĂ© Ă  y aller. Le lendemain, ils ont annoncĂ© que Pripyat Ă©tait Ă©vacuĂ©. »

Visite de Pripyat urbex

En tant que « travailleur essentiel » dĂ©signĂ©, Nikolai Syomin a Ă©tĂ© informĂ© qu’il devait rester et aider pour l’opĂ©ration de nettoyage. Sa femme Natalya, âgĂ©e de 60 ans, qui a travaillĂ© comme infirmière dans le complexe sportif de Pripyat est donc partie seule avec un petit sac et son fils Anton âgĂ© de 3 ans.

Visite de Pripyat avec Natalya Syomin

« Dans les heures qui ont suivi l’accident, tout le monde a reçu une forte dose de rayonnement. L’endroit oĂą nous vivions Ă©tait parmi les pires zones contaminĂ©es. Par consĂ©quent, la forĂŞt autour a Ă©tĂ© rasĂ©e. Quand nous sommes partis, nous ne nous sommes pas rendus compte que ce serait pour de bon. Quelques mois plus tard, nous avons rĂ©alisĂ© que rien ne serait plus jamais comme avant. » explique Natalya Syomin.

Visite de Pripyat urbex

« Slavutych a le mĂŞme « esprit » que la ville que nous avons quittĂ©, mais ça ne sera toujours que notre deuxième maison » explique Natalya Syomin. « Pripyat est la ville oĂą nous avons laissĂ© nos souvenirs. De plus, notre fils est nĂ© lĂ -bas. Tout ce qu’il nous reste lĂ -bas, ce sont nos souvenirs. Il Ă©tait mentalement difficile de revenir en arrière, très douloureux, alors nous avons renoncĂ©. »

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« La dernière fois que nous sommes allĂ©s à Pripiat, nous avons vu que tout Ă©tait envahi par la vĂ©gĂ©tation. Il est de plus en plus compliquĂ© de conserver ces souvenirs. Tous les 26 avril, nous rencontrons des amis et des voisins de Pripyat. Cependant, nous ne pouvons pas revenir en arrière, alors nous devons aller de l’avant. »

Visite de Pripyat avec Sergei Matolievich Shedrakov et Alexandra Ivanovna

Sergei Matolievich Shedrakov, 59 ans, et sa femme Alexandra Ivanovna, 60 ans, ont été évacués de Pripyat avec leurs deux enfants ; leur fille Katya âgée de 5 ans et leur fils Pavel, âgé de 16 mois.

Visite de Pripyat avec Sergei et Alexandra Shedrakov
Sergei Matolievich Shedrakov et Alexandra Ivanovna – Photo : Lynn Hilton

« Il n’y avait pas de panique, mais en regardant en arrière, c’Ă©tait terrifiant », explique Alexandra, qui travaillait dans l’un des bureaux de poste de Pripyat. « Les gens vivaient avec la centrale, ils travaillaient lĂ -bas. Effectivement, nous n’avons mĂŞme pas pensĂ© aux radiations sur le coup. Pripyat me manque beaucoup. C’Ă©tait une ville charmante, la vie y Ă©tait douce, un peu comme à Slavutych aujourd’hui. »

Visite de Pripyat avec Lydia Petrovna Malesheva

Lydia Petrovna Malesheva, se rappelle son enthousiasme lorsqu’elle a appris la construction de la ville de Slavutych à l’automne de 1986. « On nous a dit qu’une nouvelle ville serait construite pour nous, les gens qui avaient tout perdu Ă  Pripyat. Nous Ă©tions tellement enthousiasmĂ©s que nous sommes restĂ©s debout toute la nuit pour en parler. »

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« Le premier d’entre nous a dĂ©mĂ©nagĂ© Ă  Slavutych en aoĂ»t 1988. Ceux qui avaient travaillĂ© Ă  l’usine de Tchernobyl après l’accident, comme mon dĂ©funt mari, ont eu le choix entre des appartements ou des petites maisons. Nous avons choisi une maison. Slavutych est charmante et c’Ă©tait la meilleure des solutions dans ces circonstances ; mais ce n’est pas Pripyat. Effectivement, Pripyat me manque beaucoup. En fait, c’est parfois trop pĂ©nible de penser Ă  cela. »

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Par ailleurs, elle ajoute : « Nous y sommes retournĂ©s pour le 20e anniversaire de la catastrophe. Beaucoup de personnes Ă©taient prĂ©sentes. C’Ă©tait comme si la ville Ă©tait Ă  nouveau habitĂ©e, mais bien sĂ»r, ça n’Ă©tait pas le cas. »

Conclusion

Ainsi une fois par an, vers Pâques, certains anciens rĂ©sidents de la zone d’exclusion autour de Tchernobyl effectuent un pèlerinage de quelques heures. Juste assez longtemps pour visiter les tombes de leurs familles. Pripiat, construite en 1970, Ă©tait saluĂ©e comme Ă©tant un triomphe de l’urbanisme soviĂ©tique. Les magasins Pripyat Ă©taient mieux approvisionnĂ©s que partout ailleurs en Union SoviĂ©tique. Son hĂ´pital et ses cliniques Ă©taient entièrement Ă©quipĂ©s, le Palais de la Culture abritait un théâtre, il y avait des salles de sport et une piscine olympique. Au moment de l’accident, les rĂ©sidents étaient enthousiasmĂ©s par l’inauguration imminente, le 1er Mai, d’un parc d’attractions avec une grande roue, des balançoires et des auto-tamponneuses aux couleurs vives.

Visite de Pripyat urbex

Aujourd’hui, Pripyat est une ville fantĂ´me. En dĂ©finitive, la grande roue, qui n’a jamais tournĂ©, est devenue un symbole durable de la catastrophe. Les niveaux de rayonnement oscillent autour de 62,3 microroentgens par heure (0,62 microsieverts). Par exemple, c’est un peu plus du double du rayonnement de fond normal en France et un peu moins qu’un portique sous lequel on passerait trois fois Ă  l’aĂ©roport.

Finalement, toutes ces personnes ont des parents et des amis qui sont morts de cancers liĂ©s Ă  la catastrophe. Cependant, aucun d’eux a peur du danger persistant de la contamination radioactive.

Visite de Pripyat urbex

Pour eux, le plus inquiĂ©tant, c’est la menace du chĂ´mage. En effet, beaucoup craignent que l’achèvement du nouveau « sarcophage » du rĂ©acteur numĂ©ro 4, financĂ© par l’Union EuropĂ©enne, n’entraĂ®ne la suppression de nombreux postes ; dans une ville toujours Ă©trangement dĂ©pendante de la centrale. Ainsi, le dĂ©fi auquel est confrontĂ© Slavutych aujourd’hui est de savoir comment Ă©viter un dĂ©sastre Ă©conomique.

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